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TÊTE-À-TÊTE avec la Dre Suzanne Morin, une scientifique qui s'intéresse aux effets de l'ostéoporose sur la santé

- Professeure agrégée, département de médecine, divisions de médecine interne générale et d'endocrinologie, Université McGill

- Associée, département d'épidémiologie et de statistique, Université McGill

- Médecin-chef, division de médecine interne générale et centre du métabolisme osseux, CUSM

Chercheuse clinicienne, Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM)


 

Même si elle est arrivée assez tard dans le milieu de la recherche, la Dre Suzanne Morin, une interniste générale, a compensé amplement le temps perdu. Depuis qu'elle a obtenu sa maîtrise en épidémiologie et en biostatistique à l'Université McGill en 2007, après dix ans de pratique clinique établie, elle a participé à de nombreux projets passionnants. Entrevue avec la Dre Suzanne Morin, une scientifique qui s'intéresse tout particulièrement aux effets de l'ostéoporose sur la santé.

En ce moment, votre plus gros projet porte sur les effets négatifs possibles de la consommation de calcium sur les maladies vasculaires. Pouvez-vous nous en parler davantage?

Suzanne Morin : Nous savons que les femmes et les hommes ont besoin de calcium pour favoriser une santé osseuse optimale et que ce calcium provient soit de l'alimentation, soit de suppléments. Ces dernières années, quelques études ont démontré que le calcium tiré des suppléments peut être nocif pour les vaisseaux sanguins, et donc pour la santé cardiaque. Comme ces études n'utilisaient pas la meilleure méthodologie, nous avons proposé de réaliser un essai aléatoire et contrôlé sur ces résultats et avons reçu le financement nécessaire. Nous recrutons des femmes postménopausées qui sont plus susceptibles de faire de l'ostéoporose et d'avoir une maladie cardiovasculaire. Pendant un an, nous suivrons un groupe de femmes qui tireront surtout leur calcium de suppléments, et un autre, de leur régime alimentaire. Nous évaluerons la santé de leurs artères au moyen d'analyses sanguines et d'échographies effectuées en début d'étude et au bout de 12 mois. Jusqu'à présent, nous avons recruté la moitié des femmes, et nous devrions connaître les résultats dans environ deux ans. 

Vous avez commencé votre carrière comme diététicienne. Comment ces compétences vous sont-elles utiles dans cette étude?

S.M. : J'étais nutritionniste avant de devenir médecin. Je rafraîchis donc mes connaissances sur plusieurs concepts de nutrition et je travaille en étroite collaboration avec des nutritionnistes et des chercheurs en nutrition. Par le passé, nous avions l'habitude de travailler en groupes fermés, dans notre propre domaine, mais nous mélangeons désormais les équipes et les thèmes. C'est merveilleux, parce que nous pouvons ainsi nous épanouir comme chercheurs.

Vous participez également à un projet quinquennal sur des patients ayant un rare type de fracture du fémur associée à l'utilisation prolongée de médicaments contre l'ostéoporose. Ça semble contradictoire. 

S.M. : Vous avez raison. En pratique clinique, nous avons commencé à voir de plus en plus de patients qui se font des fractures du fémur sans tomber, ce qui est inhabituel. Le milieu scientifique a donc décidé de pousser les recherches. Nous avons découvert que la géométrie du fémur de ces patients différait légèrement de celle des patients qui n'ont pas ce type de fractures. Nous pensons que dans ce très petit sous-groupe de patients, les médicaments contre l'ostéoporose accentuent des microfissures du fémur déjà présentes avant la prise des médicaments. Nous avons créé un registre provincial pour obtenir un portrait complet des patients qui souffrent de ces fractures atypiques, afin de déterminer d'avance qui est vulnérable à cette grave complication. Nous collaborons également avec des collègues du reste du Canada qui possèdent des registres similaires. 

La santé osseuse est votre principal champ d'intérêt, mais sur quel secteur vous concentrez-vous?

S.M. : Je m'intéresse aux résultats cliniques dans la population âgée atteinte d'ostéoporose, notamment celle qui a subi une fracture de la hanche. Environ 6 500 personnes se fracturent la hanche chaque année au Québec. La plupart sont âgées et ont besoin d'être opérées, d'être hospitalisées et d'aller en réadaptation. C'est un processus coûteux. Je vise principalement à améliorer la santé osseuse de ces patients, mais aussi de m'assurer qu'après leur fracture, ils auront accès aux ressources de santé nécessaires pour retrouver leur mobilité et mener une vie autonome. Bien sûr, dans l'idéal, nous aimerions pouvoir traiter les patients atteints d'ostéoporose de manière à prévenir complètement les fractures.

En 2012, vous avez été lauréate du Challenge Q+, une subvention importante décernée par le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) pour stimuler l'innovation et la créativité dans les soins aux patients. Parlez-nous de PainFree, votre projet primé.

S.M. : Nous voulions aider les personnes âgées victimes d'une fracture osseuse à affronter leur douleur et à réduire leurs risques de complications médicales. La salle d'urgence est un lieu occupé. Les patients âgés peuvent facilement devenir confus, ce qui complique encore plus la gestion de la douleur. Nous avons créé une intervention éducative pour les patients, les infirmières, les médecins et le public, afin de démontrer qu'au CUSM, nous prenons la gestion de la douleur au sérieux. 

Vous avez entrepris votre carrière de recherche assez tard, après avoir exercé en médecine interne à l'HGM et avoir enseigné la médecine à l'Université McGill pendant de nombreuses années. De plus, vous éleviez alors une jeune famille. Vous êtes devenue chercheuse clinicienne boursière du FRQS et, en 2009, Ostéoporose Canada vous a décerné le prix commémoratif Lindy Fraser pour souligner votre apport à l'enseignement et la recherche sur l'ostéoporose. Comment avez-vous vécu ce cheminement de carrière? 

S.M. : J'ai tout aimé! À la maison, je devais être superorganisée. Je partageais les tâches avec mon mari, qui est aussi médecin, et nous avons eu beaucoup d'aide de mes beaux-parents. C'était une époque chargée. J'ai aussi profité du mentorat et de l'orientation des Drs Louise Pilote et David Goltzman, deux chercheurs à la fois excellents et performants. J'étais ravie quand j'ai reçu la bourse salariale du FRQS, qui m'a fourni un soutien essentiel pour mon programme de recherche.

Votre père, le Dr Yves Morin, est un cardiologue retraité, un ancien sénateur et un ancien doyen de la faculté de médecine de l'Université Laval. C'était également un chercheur respecté. Quelle a été son influence sur votre carrière?

S.M. : Il a eu une très grande influence. Mon père a fait partie de la première vague de chercheurs cliniciens du Québec. Quand mes frères et moi étions jeunes, il nous amenait à son laboratoire pour « l'aider ». Il m'a appris l'importance de l'honnêteté. Si on est honnête avec nos patients et nos collègues, ils nous feront confiance et nous entretiendrons des collaborations durables. J'ai suivi ses traces et j'enseigne aussi ce principe à mes étudiants.


Dre Morin apparait également dans une vidéo réalisée par le Fonds de recherche du Québec – Santé sur Canal Savoir  où elle parle d'un projet de recherche récent qu'elle dirige sur l'ostéoporose et l'apport en calcium. Cliquez ici pour visionner la vidéo en ligne.