Fil d'Ariane

null Entrevue avec le Dr Don Sheppard

TÊTE-À-TÊTE avec le Dr Don Sheppard, innovateur dans le développement de nouveaux traitements contre les infections fongiques

- Scientifique, Programme en maladies infectieuses et immunité en santé mondiale, Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill, (IR-CUSM)

- Directeur, Division des maladies infectieuses, Centre universitaire de santé McGill

- Professeur, Départements de médecine et de microbiologie et d’immunologie, Faculté de médecine, Université McGill



Source : IR-CUSM. Tandis qu’il atterrit à Francfort avant de se rendre à Beyrouth, où il tiendra une conférence sur la maladie fongique humaine, le Dr Don Sheppard prend volontiers le temps de partager sa passion pour son métier. La fascination que ce clinicien-chercheur porte pour la science et pour la découverte de la simplicité dans les systèmes biologiques complexes était claire dès son enfance et l’a poussé à faire des études en médecine, qui selon lui, sont « l’ultime application » de ces intérêts. Non motivé par des accolades ou un long dossier de publication (bien qu’il ait les deux), il concentre maintenant sa recherche sur un moule commun qui cause la pneumonie chez des patients ayant reçu de la chimiothérapie, un traitement à forte dose de cortisone ou des greffes d’organe ou de moelle osseuse.

Vous trouverez ci-dessous une entrevue avec un chercheur de l’IR-CUSM qui est véritablement un citoyen mondial de la science, en harmonie avec les organismes qu’il étudie.


Vous devenez rapidement un expert de renommée mondiale de l’élucidation des mécanismes par lesquels les pathogènes fongiques causent la maladie humaine, notamment chez les patients immunodéficients. Pouvez-vous m’en dire davantage sur le sujet?

Don Sheppard : Il s’agit de la glycomique microbienne, qui fait référence à l’étude des molécules de sucre. Notre laboratoire étudie la structure des polysaccharides (molécules de sucre) qui empêchent les médicaments d’atteindre leurs cibles au sein de micro-organismes. Nous avons récemment découvert que les sucres sécrétés par les champignons agissent comme une colle dans le but de les aider à s’attacher à des cellules pulmonaires humaines et à se cacher du système immunitaire lors d’infections pulmonaires. Je n’avais jamais entendu parler de glycomique lorsque j’ai commencé à travailler comme biologiste moléculaire. Aujourd’hui, c’est exactement ce que je fais.

Vous avez affirmé que les organismes formant des biofilms comme les champignons causent jusqu’à 70 % des infections acquises à l’hôpital. Quelles sont ces molécules de sucre et pourquoi détiennent-elles un rôle si important dans les maladies infectieuses?

D.S. : Nous travaillons sur deux des organismes les plus communs qui causent les infections pulmonaires : Pseudomonas aeruginosa et Aspergillus fumigatus. Les deux poussent dans des matrices extracellulaires nommées biofilms dans leur processus infectieux, soit immobilisées sur des dispositifs médicaux, comme des cathéters, ou directement dans nos tissus. Ces biofilms fournissent des organismes causant des maladies dotés d’une barrière protectrice, qui leur offrent une résistance à nos défenses immunitaires ou antimicrobiennes. Bon nombre d’échecs et de décès de patients sur antibiotiques sont liés au fait que nous sommes incapables de diriger le médicament à l’endroit où il devrait se rendre dans le microbe.

Que faites-vous afin de combattre ces biofilms?

D.S. : Nous avons déterminé la machinerie que ces organismes utilisent pour faire des biofilms, qui sont principalement composés de longues molécules de sucre. Nichée au sein de cette machinerie se trouve une enzyme capable de couper ces molécules de sucre en petits morceaux, que l’organisme utilise pour déplacer les molécules et contrôler leur longueur et leur situation. Nous avons dépouillé l’enzyme de ces contrôles régulateurs et en avons fait une version soluble qui détruit les molécules de sucre composant le biofilm. Nous utilisons en fait la machinerie de l’organisme contre elle-même, l’utilisant hors contexte et sans ses protections habituelles, ce qui la fera dévorer tout ce qui se trouve sur son chemin, donc dans ce cas-ci, le biofilm.

Comment la Plateforme de découverte de médicaments vous aide-t-elle à accomplir ceci?

D.S. : Le système MALDI [désorption-ionisation par impact laser assistée par matrice] est notre outil de force pour découvrir ce qui est arrivé aux biofilms lorsque nous les traitons avec ces enzymes thérapeutiques. Nous faisons croître ces biofilms dans des éprouvettes ou des plaques comme s’ils étaient dans les poumons, puis nous ajoutons les enzymes thérapeutiques et observons quels morceaux de sucre se retirent. Le MALDI nous indique quels morceaux de molécules de sucre sont relâchés par ces enzymes pour nous permettre de déterminer leur activité de manière quantitative (quelle quantité se détache) et qualitative (qu’est-ce qui est relâché).

Quand prévoyez-vous tester ces enzymes sur des modèles humains?

D.S. : Nos études de validation sont complètes et ont montré lors de la première tentative que ce traitement d’enzymes n’est pas toxique. Il a également protégé les souris contre les infections fongiques. Obtenir un tel résultat lors de notre tout premier essai était tellement surprenant que nous avons tout jeté et fait un nouveau lot d’enzymes afin d’écarter toute contamination. Heureusement, nous en sommes arrivés au même résultat. Nous passons maintenant à la deuxième phase pour montrer que ce traitement fonctionne contre les infections établies chez les modèles de souris. Bien que nous soyons toujours à quelques années des tests sur les humains, nos réussites jusqu’à maintenant nous mettent sur le bon chemin.

L’utilisation des enzymes d’un organisme contre eux-mêmes est l’une des multiples stratégies dans plusieurs phases de développement dans votre laboratoire. Pourriez-vous m’en dire plus sur les autres phases?

D.S. : Optimiser l’utilisation de médicaments antifongiques existants de nouvelles manières et créer un vaccin synthétique dont le but est de protéger contre des champignons létaux sont parmi d’autres approches qui ont montré des résultats prometteurs chez les modèles animaux d’infection.

Vous êtes médecin depuis 1993 et chercheur depuis 2004. Qu’est-ce qui vous a motivé à unir votre travail clinique à la science?

D.S. : Ce qui me dérange le plus est de voir une personne dont le cancer est guéri ou la greffe de moelle osseuse a fonctionné mourir, car un champignon a rongé ses poumons. Je sais ce dont ils souffrent et je leur donne un médicament qui devrait fonctionner, mais qui ne fait rien. Je souhaite avoir une autre corde à mon arc pouvant restaurer l’activité de ces médicaments ou leur faire faire ce qu’ils sont censés faire afin d’améliorer la santé du patient.

De la direction d’un laboratoire à succès à la consultation de patients, à l’enseignement et à la direction de la Division des maladies infectieuses, vous assumez plusieurs rôles. Pourquoi?

D.S. : Tout revient au même; si vous voulez des découvertes qui amélioreront la santé des patients, vous ne pouvez que faire de la science, que faire de la médecine et vous ne pouvez qu’être administrateur en santé. Vous devez développer de nouveaux traitements, découvrir comment les intégrer dans notre système de santé et éventuellement les administrer aux patients.

 

─ Mai 2017