Fil d'Ariane

null Entrevue avec la Dre Isabelle Gagnon

TÊTE-À-TÊTE avec la Dre Isabelle Gagnon, une chercheuse qui efface les frontières pour mieux comprendre la commotion cérébrale chez l’enfant

- Clinicienne-chercheuse à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM)

- Membre du Programme en santé de l'enfant et en développement humain (SEDH) et du Centre de recherche évaluative en santé (CRES)

- Professeure agrégée à l’École de physiothérapie et d’ergothérapie de l’Université McGill



Source : IR-CUSM.

Quel a été votre cheminement vers la recherche en traumatologie crânienne chez l’enfant?

Dre Isabelle Gagnon : En tant que physiothérapeute pédiatrique clinicienne, les traumatismes crâniens étaient quelque chose qui m’intéressait. Lorsque j’ai dû choisir mon sujet de recherche pour mon doctorat, c’était tout naturel pour moi de choisir la traumatologie. À l’époque, les commotions cérébrales n’étaient pas vraiment étudiées, on en connaissait très peu sur le sujet.

En quoi consiste plus précisément votre recherche?

I.G. : Je fais des recherches sur les enfants qui ont des traumatismes crâniens légers, communément appelés commotions cérébrales. Je teste des enfants, de zéro à 17 ans, dans différents projets. Je les évalue au long de leur récupération en plus de mener des essais cliniques sur des traitements.

Quels genres de traitement peut-on faire pour rééduquer un cerveau?

I.G. : Cela peut être par exemple, de l’entraînement à des tâches physiques, comme marcher, courir, sauter. ou encore des exercices visuels en réalité virtuelle. Il a été démontré que ces activités augmentent la plasticité du cerveau en plus d’aider à diminuer les maux de tête et à améliorer l’humeur et la cognition. C’est principalement ce que j’ai participé à développer depuis une dizaine d’années maintenant. On teste l’efficacité de ces interventions avec des groupes d’enfants d’âges différents, qui ont des traumas de différentes sévérités. Dernièrement, nous avons commencé à nous intéresser aux bébés et très jeunes enfants qui subissent des commotions.

Est-ce que le fait de travailler avec des enfants ajoute un défi supplémentaire à vos recherches?

I.G. : Je ne dirais pas que c’est un défi mais c’est une approche différente, plus ludique. On fonctionne beaucoup par le jeu, on ne peut pas juste leur donner des instructions. On essaye de les convaincre que c’est une bonne idée de faire ce qu’on leur demande. L’autre différence c’est que les familles les accompagnent. Quand un adulte consulte en physiothérapie, il est seul. Alors que dans le cas des patients que je rencontre, le stress parental peut venir jouer un rôle sur le stress de l’enfant.

Comment recrutez-vous vos participants?

I.G. : En 2007 j’ai contribué avec le Centre de traumatologie à fonder la Clinique des commotions cérébrales de l’Hôpital de Montréal pour enfants du CUSM, qui est davantage un programme clinique. Elle est cependant conçue pour être intégrée à la recherche. C’est une sorte de laboratoire vivant où les jeunes patients qui arrivent à la clinique peuvent participer à nos projets de recherche et où les résultats qui en ressortent sont ensuite implantés à la pratique clinique.

Vous mentionniez que la recherche dans le domaine n’était pas populaire au début de votre carrière, tout ceci est donc assez récent?

I.G. : Oui, car à la fin des années 1990, on ignorait la gravité de ce genre de blessure. On disait aux enfants de se relever et de retourner jouer. Il est vrai qu’il s’agit d’une blessure un peu invisible. Les centres hospitaliers mettaient plus d’emphase sur les traumatismes graves comme dans les cas de patients qui sont dans le coma. On voyait cependant que même ceux qui avaient des blessures très légères pouvaient montrer des signes de séquelles. C’est à ce moment que je me suis dit qu’il serait peut-être utile d’aller voir ce qui se passe dans ces situations. Dans les années 2000, on recommandait du repos pendant quelques semaines avant de débuter la réadaptation. Aujourd’hui nous tentons de commencer les traitements dès la première semaine suivant le trauma pour éviter les problèmes chroniques.

Comme c’est un domaine encore peu exploré, y-a-t-il une bonne collaboration entre les chercheurs qui s’intéressent aux commotions cérébrales?

I.G. : Oui, les chercheurs n’ont pas vraiment le choix s’ils veulent faire des avancées plus rapidement. J’ai, par exemple, coordonné une étude qui regroupait des enfants de six à dix-sept ans ayant subi des commotions cérébrales dans six sites au Canada. Notre site prend également part à des études multicentriques. C’est la seule façon d’avoir de plus grands échantillons. L’idée est d’aller chercher du financement pour réaliser des études pancanadiennes. Les recherches se font beaucoup plus rapidement ainsi.

Il y a aussi des consortiums sur les traumatismes crâniens au niveau national et international. Le but est de faire tomber les barrières entre les pays et les juridictions et faire en sorte que les chercheurs de partout dans le monde puissent partager les données, afin d’avoir un plus gros échantillon d’analyse.

Aujourd’hui, connaît-on l’impact que les commotions cérébrales ont sur le cerveau des enfants?

I.G. : Il manque encore beaucoup de réponses. Par exemple, la plus grande proportion d’enfants qui se blessent se trouvent chez les zéro à quatre ans parce qu’ils tombent beaucoup, mais ces enfants ne font pas encore l’objet de beaucoup de travaux. Ou encore, quand on fait des études d’imageries pour aller voir ce qui se passe dans le cerveau, avec les scans ordinaires, on ne détecte absolument pas les dommages. Il faudrait avoir des techniques plus poussées, qui sont actuellement seulement utilisées en recherche.

Vous êtes en sabbatique cette année. Quels sont vos projets?

I.G. : J’avais deux projets plus importants pour cette année. Le premier est un livre sur les commotions cérébrales que je coédite avec le chercheur Alain Ptito du Programme en réparation du cerveau et en neurosciences intégratives (RCNI). L’ouvrage est presque prêt et s’adresse aux cliniciens qui traitent ce genre de blessures liées au sport. On a tenté de créer un guide assez pratique avec des histoires de cas concrets.

Mon second projet est d’aller visiter une collaboratrice en Australie, Vicki Anderson de l’Université de Melbourne, qui est aussi une chercheuse en traumatisme craniocérébral. Elle étudie de très jeunes enfants, un peu comme nous avons débuté ici, et elle s’intéresse aussi à l’efficacité des interventions. Je veux voir comment on pourrait collaborer et en apprendre plus avec cette même population.

La Dre Isabelle Gagnon fut l’objet d’une vidéo de l’université McGill sur la conscientisation aux commotions cérébrales. Vous pouvez la regarder ici (en anglais).

 

─ Juin 2017