Fil d'Ariane

null Comment le vaccin BCG contre la tuberculose protège-t-il contre les infections respiratoires virales?

Une équipe de l’IR-CUSM dévoile l’existence d’un nouveau mécanisme par lequel le vaccin centenaire offre une protection croisée contre le virus de l’influenza de type A

Source : IR-CUSM
Le 19 janvier 2024

Dans une étude publiée plus tôt cette semaine dans le journal Nature Immunology, des chercheuses et des chercheurs de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM) proposent des éléments nouveaux permettant de comprendre l’immunité innée entraînée, c’est-à-dire la capacité du système immunitaire inné à se bâtir une mémoire et à offrir une protection durable contre les infections.

Depuis plus de 100 ans, on administre le vaccin BCG (acronyme de bacille de Calmette et Guérin) pour immuniser les enfants contre le bacille de Koch (Mycobacterium tuberculosis), l’agent pathogène responsable de la tuberculose. Plusieurs études ont démontré que le vaccin BCG réduit grandement la mortalité infantile attribuable à d’autres maladies infectieuses. Toutefois, on ignore encore comment le vaccin BCG offre une protection additionnelle contre des pathogènes n’ayant aucun lien avec le bacille de Koch.

Maziar Divangahi, Ph. D., professeur de médecine à l’Université McGill, spécialiste de l’immunologie pulmonaire et chercheur principal au sein du Programme de recherche translationnelle sur les maladies respiratoires à l’IR-CUSM, effectue des recherches sur le fonctionnement des mécanismes de protection des vaccins contre les infections.

« Dans l’étude à laquelle il est fait référence ci-dessus, notre objectif était de comprendre comment le vaccin BCG, qui est un vaccin vivant préparé à partir d’une souche atténuée, dérivé de Mycobacterium bovis, peut offrir une protection contre des pathogènes viraux, explique le professeur Divangahi. Nous nous sommes penchés sur les mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués dans la protection croisée qu’offre le BCG contre l’infection au virus de l’influenza de type A. »

« Nous avons découvert avec beaucoup d’enthousiasme que le vaccin BCG offrait une protection remarquable contre l’infection au virus de l’influenza de type A, commente la première auteure de l’article, Kim A. Tran, étudiante au doctorat qui travaille au laboratoire du professeur Divangahi. La diminution de la charge virale dépendait des interactions entre les lymphocytes T mémoire et l’un des types de cellules clés de l’immunité innée présentes dans les poumons, appelées macrophages alvéolaires. Il s’agit d’un mécanisme de protection croisée qui était jusqu’ici inconnu, qu’induit le BCG. Nos découvertes mettent en lumière un mécanisme d’interaction entre la mémoire immunitaire adaptative et la mémoire immunitaire innée, qui se produit au tout début de l’infection. »

Résumé graphique synthétisant les travaux dont il est question dans la publication. La première auteure, Kim Tran (à gauche), est étudiante au doctorat et travaille sous la direction de Maziar Divangahi, Ph. D. (à droite), au sein du Programme de recherche translationnelle sur les maladies respiratoires.
Résumé graphique synthétisant les travaux dont il est question dans la publication. La première auteure, Kim Tran (à gauche), est étudiante au doctorat et travaille sous la direction de Maziar Divangahi, Ph. D. (à droite), au sein du Programme de recherche translationnelle sur les maladies respiratoires.

De manière générale, la conception d’un vaccin implique l’identification d’un antigène parfait qui induit les réactions immunitaires mémoire à long terme des lymphocytes T et B, et qui offre une immunité protectrice lorsque l’organisme est ensuite en contact avec le même pathogène. Dans l’étude faisant l’objet du présent article, les chercheuses et les chercheurs ont démontré que, dans la réponse au vaccin BCG, les cellules mémoire T spécifiques pour la mycobactérie peuvent non seulement migrer dans le système circulatoire, mais également dans les tissus pulmonaires. Lors de l’infection au virus de l’influenza de type A, ces lymphocytes mémoire T peuvent être activés et ensuite « entraîner » les cellules proximales du système immunitaire inné (macrophages alvéolaires) dans les poumons, afin de limiter la réplication du virus de l’influenza.

« Les interactions du système immunitaire impliquées ici peuvent "entraîner" les poumons, qui sont fréquemment exposés à des agents infectieux présents dans l’environnement, ajoute le professeur Divangahi. Si nous arrivons à cartographier les voies protectrices qu’emprunte le système immunitaire dans les poumons, cet exercice révolutionnera nos approches conceptuelles et cliniques quant au développement de vaccins contre les infections, y compris contre les infections aux virus respiratoires émergents. »

Dans ses travaux antérieurs, le professeur Divangahi a fait ressortir la capacité potentielle du vaccin BCG à induire l’immunité innée entrainée; il s’agit d’un nouveau concept en immunologie, où les cellules du système immunitaire inné développent une certaine mémoire. L’étude commentée ici présente les premiers éléments probants quant à la manière dont un vaccin peut susciter le dialogue entres les lymphocytes mémoire T et les cellules du système immunitaire inné; il en résulte une protection croisée contre une infection virale n’ayant aucun lien avec la bactérie que contient le vaccin. L’expansion des cellules mémoire T effectrices par le BCG avant une infection au virus de l’influenza de type A "entraîne" les cellules du système immunitaire inné, afin de combattre rapidement l’infection.

« Nos conclusions constituent le fondement d’un phénomène observé depuis des décennies, sans pour autant être compris, soit la protection qu’offre le BCG contre des agents pathogènes n’ayant aucun lien avec le bacille de Koch, conclut le professeur Divangahi. Nous devons poursuivre nos travaux dans le but d’évaluer si le vaccin BCG pourrait éventuellement être utilisé dans la lutte contre d’autres agents pathogènes de virus émergents. Il est enthousiasmant de noter que, parallèlement à nos travaux, d’autres groupes ont affiché des résultats prometteurs en étudiant la protection du BCG contre le SARS-CoV-2; ils ont constaté l’existence de mécanismes similaires à ceux que nous avons identifiés dans notre étude sur le virus de l’influenza de type A. »

À propos de l’étude

Les auteures et les auteurs tiennent à souligner le soutien qu’ils ont reçu des Instituts de recherche en santé du Canada, du Fonds de recherche du Québec – Santé et de la Fondation Richard et Edith Strauss.

Les auteures et les auteurs remercient les responsables de la Plateforme d’immunophénotypage de l’IR-CUSM.

Lire la publication : Tran K.A., Pernet E., Sadeghi M., Downey J., Chronopoulos J., Lapshina E., Tsai O., Kaufmann E., Ding J., Divangahi M., BCG immunization induces CX3CR1hi effector memory T cells to provide cross-protection via IFN-γ-mediated trained immunity. Nat Immunol., le 15 janvier 2024, système DOI : 10.1038/s41590-023-01739-z. PMID : 38225437 [en anglais seulement]